Warning: getimagesize(images/preghiera/vangelo/15_01_11_elgreco_battesimo_prado.jpg): failed to open stream: No such file or directory in /home/monast59/public_html/plugins/content/multithumb/multithumb.php on line 1563

Warning: getimagesize(images/preghiera/vangelo/15_01_11_elgreco_battesimo_prado.jpg): failed to open stream: No such file or directory in /home/monast59/public_html/plugins/content/multithumb/multithumb.php on line 1563

Silence de Dieu, silence de l'homme


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : Silence de Dieu, silence de l'homme
Samedi saint
"Il est descendu aux enfers", confessons-nous dans le Credo. Voilà ce qui se produit, de façon cachée, le Samedi saint

 

Il peut sembler paradoxal de parler du Samedi saint: pour les chrétiens, c’est un jour marqué par le silence, un jour à l’apparence d’un «temps mort», vide de sens. Même les évangiles taisent ce «grand samedi»: le récit de la passion de Jésus s’arrête au soir du vendredi et ne reprend qu’à l’aube du premier jour de la semaine, le troisième jour, justement. Un jour vide, donc? Dans la tradition chrétienne occidentale, le Samedi saint est le seul jour sans célébration eucharistique, jour «a-liturgique», sans célébration particulière: les cloches gardent le silence, dans les églises dépouillées il n’y a ni flamme allumée ni chant… Même la prière des chrétiens se fait silencieuse et chargée avant tout d’attente: attente de ce qui transformera profondément toute chose, toute histoire. Certes, la Pâques est un événement survenu eph’hapax, «une fois pour toutes», le 9 avril de l’an 30, le Christ ressuscité ne meurt plus; nous ne célébrons pas un mystère cyclique comme le faisaient les païens… Et pourtant, nous sommes appelés à vivre ce jour en en saisissant le message propre: nous le vivons dans la foi que le Seigneur crucifié est vivant parmi nous mais, discernant le deuxième jour du triduum pascal comme un jour de silence, d’attente, de non-dit, nous assumons une dimension qui nous habite toujours et qui parfois — dans notre vie, dans celle des autres ou de peuples entiers — prend une envergure durable, non momentanée, ni passagère.

Samedi saint, lendemain de la mort, temps rempli pour les disciples par la fin de l’espérance, par une aporie, un vide sur lequel incombe le non-sens, l’insupportable douleur, la lacération d’une séparation définitive, d’une blessure mortelle: où est Dieu? Voilà la sourde question du Samedi saint. Où est ce Dieu qui était intervenu au baptême de Jésus, ouvrant les cieux pour dire: «Tu es mon Fils, en toi j’ai mis ma joie» (Mc 1,11)? Où est ce Dieu qui était intervenu sur la montagne, à l’heure de la transfiguration, et s’était exclamé: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé» (Mc 9,7)? Au moment de la croix, Dieu n’est pas intervenu, Jésus s’est senti abandonné et le lui a crié: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» (Mc 15,34). Tout un jour s’écoule, et Dieu n’intervient pas… Pourtant Dieu n’a pas abandonné Jésus: si l’abandon semble l’amère vérité pour les disciples, en réalité, Dieu a déjà appelé Jésus à soi; ou mieux: il l’a déjà ressuscité dans son Saint-Esprit, et Jésus vivant est aux enfers pour annoncer là aussi la libération. «Il est descendu aux enfers», confessons-nous dans le Credo. Voilà ce qui se produit, de façon cachée, le Samedi saint: ce jour vide, silencieux pour les disciples et pour les hommes, est le jour où le Père — qui «est toujours à l’œuvre» (cf. Jn 5,17), comme l’a dit Jésus — à travers lui, porte le salut aux enfers. Comme Jonas est resté dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits (cf. Mt 12,40), ainsi Jésus a été déposé de la croix dans la tombe et, de là, est descendu encore, aux enfers, au séjour des morts.


Sur ce grand mystère, l’Église, comme aphone, semble aujourd’hui préférer se taire. Pourtant les Pères de l’Église et la liturgie ancienne ont voulu chanter cette «action» de Jésus après sa mort. Dans une homélie attribuée à Épiphane, on lit: «Aujourd’hui, sur la terre, règne un grand silence. Le Seigneur est mort dans la chair et il est descendu secouer le règne des enfers. Il va chercher Adam, le premier père, comme une brebis perdue. Le Seigneur descend et visite ceux qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la mort.» Et dans une hymne, Éphrem le Syrien chante: «Celui qui dit à Adam: “où es-tu?” est descendu aux enfers derrière lui, l’a trouvé, l’a appelé et lui a dit: “Viens, toi qui es à mon image et ressemblance; je suis descendu où tu es pour te ramener dans ta terre promise!”» Jésus, descendu aux enfers par sa mort — une mort devenue «acte», une mort assumée et vécue — a détruit la mort même dans un admirable combat, comme le rappelle la liturgie syriaque: «Seigneur Jésus, tu as combattu avec la mort durant les trois jours où tu es resté dans la tombe, tu as semé la joie et l’espérance parmi ceux qui habitaient les enfers.»

Ainsi, la descente aux enfers devient l’extension du salut au cosmos entier, le salut de tout l’être humain: Christ descend au cœur de la terre, au cœur de la création, dans les zones infernales qui habitent chaque homme. Qu’en est-il alors des enfers, après la «visite» du Christ glorieux? Pour Cyrille d’Alexandrie, cette prédication du Christ aux enfers (dont parle l’apôtre Pierre: «mis à mort dans la chair, il a été rendu à la vie par l’Esprit, il alla même prêcher le salut aux esprits en prison», 1P 3,18-19) a signifié la spoliation de l’enfer: «Le Christ, dépouillant l’enfer tout entier et ouvrant grand les portes impénétrables aux esprits des morts, y laissa le diable seul!» Enfer, où est ta victoire?


Le chrétien, aujourd’hui, ne devrait pas oublier ce mystère du grand et saint Samedi, vrai prélude à la Pâques, mais rappel aussi de la descente du Christ dans les régions infernales qui habitent tout chrétien, malgré son désir de suivre Jésus. Qui ne reconnaît pas en soi la présence de ces enfers? Ces régions non évangélisées, ces territoires d’incrédulité, ces lieux où Dieu n’est pas et où chacun ne peut qu’invoquer la descente du Christ pour qu’il les illumine, qu’il transforme ces régions de mort, assujetties à la puissance du démon, en humus capable de faire germer la vie par la force de la grâce… Le Samedi saint est ainsi comme le temps de la grossesse, le temps qui croît vers l’accouchement, vers la vie nouvelle: son silence n’est pas mutisme, mais temps chargé d’énergies et de vie.

Par ailleurs, le siècle à peine achevé n’a-t-il pas été comme le siècle où le Samedi saint représentait l’expérience de nombreux croyants en Jésus et d’autres hommes dont Dieu seul connaît et juge la foi? Dans les camps d’extermination du nazisme, dans les goulags et dans les prisons soviétiques, dans tant de pays où l’idéologie athée a redonné des martyrs à l’Église, quel profond Samedi saint… Voici plusieurs années, j’ai rencontré en Chine un évêque de l’Église officiellement non en communion avec Rome; en latin, il m’a dit: «Nous vivons le Samedi saint, mais nous attendons la Pâques: elle viendra! Dites au Saint-Père que nous l’aimons!» Samedi saint, Dieu paraît absent, le mal semble prévaloir, la douleur apparaît dépourvue de sens: où est Dieu? Samedi saint, parfois aussi pour qui trouve la ténèbre dans son chemin de foi, qui voit vaciller sa foi, qui ne parvient pas à nourrir l’espérance: jour d’insensibilité, où toute confiance semble inaccessible, trop grande pour qu’on puisse la concevoir. Samedi saint de nombreux malades, surtout ceux atteints du sida, liés à Christ dans sa honte… Mais Samedi saint aussi comme temps où le sang des martyrs et des victimes tombe en terre pour la féconder en vue d’un fruit abondant, temps où la désagrégation de notre être extérieur fait place à la croissance de notre homme intérieur… Chacun alors pourra dire de son Samedi saint: «Vraiment, le Seigneur est ici à côté de moi et je ne le savais pas!» (Gn 28,16). Il n’y a pas d’aurore de Pâques sans Samedi saint.

Tiré de ENZO BIANCHI, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004.

Bonne nouvelle pour les pécheurs


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : Bonne nouvelle pour les pécheurs
Vendredi saint
Ce n’est pas la croix, qui rend grand celui qui y est pendu, mais c’est Jésus qui rachète et donne sens à la croix

C’est un jour sévère que le Vendredi saint, pour les chrétiens, une commémoration perçue comme l’«anti-fête», un jour capable encore d’isoler de façon tragique la passion et la mort de Jésus de sa résurrection. Car lorsque les chrétiens vont à leur Seigneur, ils sont toujours reconduits à l’unique événement de la passion-mort-résurrection; mais en ce jour c’est la passion, qui culmine dans la mort, que l’on médite, que l’on pense, que l’on célèbre: c’est la croix qui domine la liturgie de son ombre et qui, en s’imposant, ne renvoie à la résurrection que comme espérance, comme attente. Voilà bien la singularité, la spécificité de la foi chrétienne que d’avoir au centre de son message le Seigneur crucifié, et de reconnaître dans la crucifixion de Jésus de Nazareth le récit qui manifeste avec le plus d’éloquence qui est Dieu. Mais que rappellent les chrétiens le Vendredi saint?

Ils rappellent que le vendredi 7 avril de l’an 30 de notre ère, à Jérusalem, la cité sainte et le cœur de la foi hébraïque, Jésus de Nazareth — un rabbi et un prophète de la Galilée qui avait suscité un mouvement autour de soi et entraînait dans son sillage une petite communauté itinérante composée d’une douzaine d’hommes et de quelques femmes — est arrêté, condamné et mis à mort par le supplice de la crucifixion.


 

Historiquement, on peut dire que Jésus a été arrêté à l’initiative de certains chefs des prêtres, la hiérocratie de Jérusalem, en raison de gestes qu’il avait accomplis et de paroles qu’il avait prononcées: certains traits messianiques de sa manière d’agir, le fait d’avoir chassé les vendeurs du temple, la polémique prophétique contre les hommes religieux, en particulier les sadducéens. Capturé de nuit dans la vallée du Cédron par une poignée de gardes du temple, il fut emmené auprès du Grand Prêtre, en présence duquel se tint une confrontation qui permit de formuler les accusations précises à présenter au gouverneur romain, le seul à détenir le pouvoir d’émettre une condamnation capitale et de disposer de l’exécution. Il faut dire clairement qu’un authentique procès n’eut formellement pas lieu et que la partie du sanhédrin qui s’est réunie de nuit n’était presque certainement pas en mesure de délibérer en situation légale. Jésus, quoi qu’il en soit, est livré à Pilate, qui décide, en quelques séances et suivant des procédures qui apparaissent comme celles d’un véritable procès, de le condamner avec d’autres malfaiteurs, après l’avoir fait flageller. S’agissait-il d’une mesure de sécurité, d’une tentative de satisfaire le groupe sacerdotal qui le lui avait livré, d’une attitude de haine envers quiconque, parmi les juifs, semblait porteur d’un message non concordant avec à l’idéologie impériale? Toutes ces raisons à la fois ont probablement conduit Pilate à décider la condamnation de ce Galiléen.

Ainsi Jésus meurt en croix, subissant ce qui était pour les Romains «un supplice très cruel et horrible» (Cicéron) et qui était pour les juifs, tout comme la pendaison, le signe de l’excommunication de l’impie, de la malédiction du blasphémateur, comme en témoigne la Torah: «Maudit celui qui est pendu au bois» (Dt 21,23, cf. Ga 3,13). Jésus meurt dans l’infamie de sa nudité, pendu en l’air, parce que ni le ciel ni la terre ne le veulent; il meurt dans la honte de qui est condamné à la fois par le magistère officiel de sa religion et par l’autorité civile, parce que nocif au bien commun de la cité! Jésus, à la différence du Baptiste, ne meurt pas comme un martyr, mais bien comme un excommunié et un maudit, comme aime à le dire Paul, qui se vante de prêcher Jésus Christ crucifié, scandale pour les hommes religieux et folie pour les sages du monde grec (cf. 1Co 1,23).


La croix, oui, la croix est le signe de cette mort infamante de Jésus — qui est «compté parmi les malfaiteurs» (Lc 22,37), les évangélistes se complaisent à le souligner; c’est le récit de sa solidarité avec les pécheurs, de son abaissement jusqu’à la condition de l’esclave humilié, «jusqu’à la mort, à la mort sur une croix» (Ph 2,8), comme l’apôtre Paul l’atteste. Mais la croix ne doit toutefois pas prévaloir sur le Crucifié! Ce n’est pas la croix, en effet, qui rend grand celui qui y est pendu, mais c’est précisément Jésus qui rachète et donne sens à la croix, de sorte que tous les hommes qui connaissent cette situation de souffrance et de honte, de malédiction et d’anéantissement puissent trouver Jésus à leur côté. Oui, la réalité de toute croix est une énigme, que Jésus fait devenir mystère: dans un monde injuste, le juste ne peut qu’être rejeté, persécuté, condamné. C’est une necessitas humana, et Jésus — précisément parce qu’il a voulu «rester juste», solidaire avec les victimes, les agneaux — a dû connaître ce choc de l’injustice du monde contre lui. Mais lorsqu’on sait lire la passion-mort de Jésus de cette manière, on est obligé de la comprendre comme un événement de gloire pour Jésus: la gloire de celui qui a donné sa vie pour les hommes, la gloire de celui qui a aimé jusqu’à la fin, la gloire de celui qui meurt condamné pour avoir cherché à raconter, à travers son existence, que Dieu est miséricorde, qu’il est amour. S’il est un lieu où Jésus a rendu Dieu «bonne nouvelle», s’il est vrai qu’il l’a «évangélisé», c’est bien sur la croix: bonne nouvelle pour tous les pécheurs!

Le Vendredi saint, les chrétiens réunissent dans l’image du crucifié, agneau innocent, toutes les victimes de l’histoire, les agneaux tués par les loups: les chrétiens sont appelés en ce jour à apprendre à soutenir le scandale de la croix, sans rejeter les fautes sur l’autre, certains que la croix de chaque juste met en évidence une raison pour laquelle il vaut la peine de donner sa vie. Car ce n’est que si l’on a une raison pour laquelle il vaut la peine de donner sa vie que l’on a aussi une raison pour laquelle il vaut la peine de vivre.

Tiré de ENZO  BIANCHI, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004

L'immersion dans l'humain


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Multithumb found errors on this page:

There was a problem loading image 'images/preghiera/vangelo/15_01_11_elgreco_battesimo_prado.jpg'
There was a problem loading image 'images/preghiera/vangelo/15_01_11_elgreco_battesimo_prado.jpg'
Lire la suite : L'immersion dans l'humain
BAPTÊME DU SEIGNEUR
Les fêtes chrétiennes par ENZO BIANCHI

Le baptême de Jésus nous rappelle que le Saint-Esprit est descendu sur lui et qu’il l’habitait de ses énergies

Une vie donnée librement et par amour


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : Une vie donnée librement et par amour
Jeudi saint
Gesù, il Kyrios, il Signore, lava i piedi ai discepoli. Gesto anomalo, gesto paradossale che capovolge i ruoli, gesto scandaloso

Au soir du Jeudi saint commence le triduum pascal, cette suite de jours «saints», distincts des autres, durant lesquels nous méditons, nous célébrons, nous revivons le mystère central de notre foi: Jésus entre dans sa passion, il connaît la mort et la sépulture et, le troisième jour, il est ressuscité par le Père dans la force de vie qu’est le Saint-Esprit. Mais cet événement de la passion de Jésus, était-il dû au hasard, ou à un destin qui incombait à Jésus? Pourquoi Jésus a-t-il connu la condamnation, la torture et la mort violente? Voilà des questions auxquelles il faut donner une réponse, si l’on veut saisir et connaître en profondeur le sens de la passion. Mais cette réponse, ce sont les évangiles eux-mêmes qui veulent nous la fournir, par leur témoignage sur les événements de ces jours pascals de l’an 30 de notre ère. Jésus en effet, précisément pour manifester à ses disciples qu’il entrait dans la passion en l’assumant comme un acte, et non pas contraint par le destin ou par le hasard des événements défavorables à son encontre, anticipe à travers un mime, à travers un geste symbolique ce qui est sur le point de lui arriver et en révèle ainsi le sens. Dans la liberté, donc, Jésus accepte cette fin qui se profile: il aurait pu fuir, il aurait pu éviter d’affronter cette épreuve et, certes, il a demandé au Père que cela soit rendu possible; mais si Jésus voulait demeurer dans la justice, s’il voulait se situer du côté des justes qui, dans un monde injuste, sont toujours soumis aux oppositions et aux persécutions, s’il voulait persister dans la solidarité avec les victimes, les agneaux de l’histoire, alors il devait accepter cette condamnation et cette mort. Oui, librement il l’a acceptée pour que soit faite la volonté du Père: non que le Père voulait sa mort, mais parce que la volonté du Père était que Jésus reste dans la justice, dans la charité, dans la solidarité avec les victimes.


 

Mais cette liberté de Jésus était aussi nourrie et accompagnée par l’amour: amour pour le Père, assurément, mais encore pour la vérité et la justice, et amour pour nous, les hommes. Oui, pour que soit manifesté le fait que Jésus dépose sa vie librement et par amour — et non pas contraint par le destin ou par des circonstances fortuites — Jésus anticipe par un signe ce qui va lui arriver. À table, avec ses disciples, Jésus accomplit sur le pain et sur le vin des actions qu’il accompagne de ses paroles: son corps est rompu et donné aux hommes, son sang est versé et donné pour tous. Et le signe de sa mort imminente devient sacrement d’action de grâces; c’est l’eucharistie que les chrétiens devront célébrer en mémoire de Jésus, pour être eux aussi impliqués dans ce geste qui est de donner sa vie pour les frères, pour les autres: à la fin de cette action, Jésus s’écrie: «Faites ceci en mémoire de moi!» Jusqu’à son retour, pour toute la durée du temps où les chrétiens vivent dans le monde, entre la mort-résurrection de Jésus et sa venue dans la gloire, c’est dans la célébration de ce geste de leur Maître et Seigneur que les chrétiens seront façonnés comme disciples, qu’ils participeront à la vie même du Christ, qu’il sauront que lui, le Seigneur, est avec eux jusqu’à la fin de l’histoire.

Le Jeudi saint ne peut donc pas ne pas célébrer cet événement qui anticipe la passion de Jésus, ce récit de son exode de ce monde au Père. Mais dans la liturgie du Jeudi saint, de manière significative, l’Église ne rappelle et ne vit pas uniquement ce geste de son Seigneur, comme dans chaque célébration eucharistique, mais elle vit et elle répète encore un autre geste de Jésus: celui du lavement des pieds. Le quatrième évangile en effet rappelle lui aussi «le dernier repas de Jésus avec les siens» (cf. Jn 13,1-2), ce repas où fut dévoilé le traître et annoncé le reniement de Pierre et la fuite des autres disciples, ce repas partagé à l’occasion de la dernière Pâque de Jésus à Jérusalem, avant sa mort. Toutefois, plutôt que de décrire le signe du pain et du vin, Jean raconte le signe du lavement des pieds! Pourquoi une action «autre», un signe «autre»? Pourtant même le quatrième évangéliste connaît le récit de l’eucharistie: depuis plusieurs décennies déjà, l’Église célèbre ce sacrement. Pourquoi alors le souvenir d’un autre signe? On peut considérer fort probable que ce choix du quatrième évangile soit motivé par une urgence ressentie dans l’Église à la fin du Ier siècle: la célébration eucharistique ne peut pas être un rite détaché d’une pratique cohérente d’agapé, d’amour et de service pour les frères, car c’est là précisément sa signification — donner sa vie pour les frères! L’évangéliste veut ainsi réactualiser le message de l’eucharistie, en rappelant cette alternative: soit l’eucharistie est service réciproque, don de la vie pour l’autre, amour jusqu’à la fin, soit elle n’est qu’un rite qui appartient à la «scène» de ce monde.


 

On pourrait dire que l’intention de Jean est que le sacrement de l’autel soit toujours interprété et vécu comme le sacrement du frère: la célébration eucharistique, avec le pain rompu et le vin offert, et le service concret, quotidien envers le frère, se rapportent l’un à l’autre comme deux faces de la participation au mystère pascal du Christ. Voilà alors que le geste de Jésus est raconté lentement, presque au ralenti, afin qu’il reste bien imprimé dans l’esprit du disciple de tous les temps: Jésus se lève de table, il dépose son vêtement, il prend un linge, il s’en ceint, il verse de l’eau dans un bassin, il lave les pieds des disciples, il les essuie, il reprend son vêtement… Ce sont des verbes d’action qui expriment de manière plastique l’événement du lavement. Ce geste, Jésus l’accomplit en étant pleinement conscient de ce qu’il fait: Jésus, le Kyrios, le Seigneur, lave les pieds à ses disciples. Un geste anormal, un geste paradoxal, qui renverse les rôles; un geste scandaleux, comme en témoigne la réaction de Pierre! Pourtant c’est précisément de cette manière que Jésus raconte, «évangélise» Dieu, dans le sens qu’il rend Dieu «bonne nouvelle» pour nous.

L’eucharistie et le lavement des pieds sont donc deux actions différentes, deux mimes sacramentels, deux scènes qui disent la même réalité: Jésus offre sa vie et, librement et par amour, il va vers sa mort en se faisant esclave. Pour cela, tout comme au geste eucharistique, un commandement fait suite au geste du lavement des pieds: «Comme je vous ai lavé les pieds, faites-le vous aussi» (cf. Jn 13,15). Si l’Église veut être l’Église du Seigneur, c’est ainsi qu’elle doit faire, par obéissance à son mandat: rompre le pain, offrir le vin, laver les pieds dans l’assemblée des croyants et dans l’histoire des hommes.

Tiré de ENZO BIANCHI, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004.