Terre du ciel


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : Terre du ciel
Les fêstes chrétiennes
Nous aimons notre terre, mais nous nous y sentons à l’étroit; nous nous préoccupons de notre corps, mais nous savons que nous sommes davantage que notre physique

 

15 août

La mi-août: à mi-parcours de l’été, au creux d’un temps de vacances qui bascule constamment entre le repos et la surexposition du corps, la détente et l’étourdissement de l’esprit, l’ouverture et la confusion de l’âme. Et au cœur de ce «temps pour l’homme» tout entier, la fête la plus populaire peut-être de celles dédiées à la Vierge Marie: l’Assomption. Paradoxe incompréhensible? Contradiction d’une société taxée par beaucoup de sécularisée? Mondes parallèles qui se croisent en une festivité qui n’a de commun que la date et non les motifs? Selon moi, il s’agit là plutôt d’une féconde provocation.
Dès les tout premiers siècles du christianisme, en effet, l’Église a perçu qu’en Marie — qui avait engendré le Ressuscité et qui, au nom de la création tout entière, avait accueilli le Dieu fait homme — était préfiguré le but qui attend chaque vivant: l’assomption de l’humain, de tout l’humain, dans le divin. Oui, Marie est icône et personnalité corporative des croyants, elle qui est la Fille de Sion, l’Israël saint dont est né le Messie, et aussi l’Église, la communauté chrétienne qui engendre des enfants pour le Seigneur sous la croix. Pour cela, le Visionnaire de l’Apocalypse l’a vue comme la femme vêtue de soleil, couronnée des douze étoiles des tribus d’Israël, enfantant le Messie (cf. Ap 12,1-2), mais aussi comme la mère de la descendance de Jésus, l’Église (cf. Ap. 12,17). Ainsi, la première créature à entrer «corps et âme» (de tout son être) dans l’espace et dans le temps du Créateur ne pouvait être que celle qui avait consenti à ce que le divin passe dans l’humain: espace vital donné par la terre au ciel, la Vierge-Mère devient le germe et la prémice d’une création transfigurée. Dans la foi de l’Église, Marie est désormais au-delà de la mort et du jugement, dans cette dimension autre de l’existence à laquelle nous ne savons donner de nom, si ce n’est «ciel».



Et dans ce terme, point d’opposition, mais plutôt une étreinte avec la terre: qui peut dire, en effet, en regardant en soi et autour de soi, ou en scrutant l’horizon lointain, où se termine la terre et où commence le ciel? N’est terre que la motte défrichée et la roche inaccessible, ou ne l’est pas aussi la croûte qui endurcit notre cœur? Et n’est ciel que la voûte étoilée et non pas le souffle vital qui nous habite? Ainsi Marie, élevée en Dieu, reste infiniment humaine, Mère pour toujours, tournée vers la terre, attentive aux souffrances des hommes et des femmes de tous temps et de tous lieux, présente à leur pèlerinage souvent incertain. Oui, pour l’Orient comme pour l’Occident chrétiens — au-delà des formulations différentes — la Dormition-Assomption de Marie est un signe des «réalités ultimes», de ce qui devra se produire dans un futur non tant chronologique que de «sens», un signe de la plénitude à laquelle nos limites aspirent: en elle, nous pressentons la glorification qui attend le cosmos entier à la fin des temps, quand «Dieu sera tout en tous» (1Co 15,28) et en tout. Elle est la portion d’humanité déjà rachetée, figure de cette «terre promise» à laquelle nous sommes appelés, coin de terre transplanté au ciel. Une hymne de l’Église orthodoxe serbe chante Marie comme la «terre du ciel», terre — adamah — dont, tout comme elle, nous sommes tirés (cf. Gn 2,7), mais terre rachetée, christique, transfigurée grâce aux énergies de l’Esprit Saint, terre désormais en Dieu pour toujours, anticipation de notre destin commun.


C’est cette espérance pour tous que la liturgie a toujours cherché à célébrer en cette fête, usant du langage et des images dont elle disposait: aujourd’hui, peut-être, certaines expressions liturgiques et certaines représentations iconographiques nous semblent inadéquates, mais l’aspiration qu’elles tentaient d’exprimer reste la même de nos jours, et même dans le fracas de la mi-août. Nous aimons notre terre, mais nous nous y sentons à l’étroit; nous nous préoccupons de notre corps, mais nous savons que nous sommes davantage que notre physique; nous luttons dans le temps et contre le temps, mais nous percevons que notre vérité dépasse le temps; nous jouissons de l’amitié et de l’amour, mais nous en saisissons les limites et en craignons la caducité. Peut-être est-ce précisément de cette possibilité de «penser en grand» — qui est dilatation des horizons et non des appétits, grandeur d’âme et non des prétentions — que l’humble femme de Nazareth est pour nous le gage, elle qui est devenue, par don de Dieu, Mère du Seigneur, terre du ciel. Alors ce corps transporté vers la Lumière, source et finalité de toute lumière, ne concerne plus la dévotion de quelques fidèles seulement, mais le sort ultime de tout le créé, assumé par l’Incréé: c’est la chair même de la terre qui, transfigurée, devient eucharistie, action de grâce, étreinte avec le ciel.
Oui, en cette mémoire de Marie élevée au ciel, les chrétiens, en pleines vacances, sont invités à transformer en reconnaissance, en eucharistie, en action de grâce devant le Créateur et Sauveur, la création qu’ils contemplent et qu’ils devraient sauvegarder avec amour et attention.

Enzo Bianchi

Tiré de Donner sens au temps, Bayard, 2004.

Promesse pour l'humanité défigurée


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : Promesse pour l'humanité défigurée
Les fêtes chrétiennes
par ENZO BIANCHI
La Transfiguration est le gage que Dieu travaille pour nous conformer à son Fils, nous rendant ressemblants à lui, sans rupture avec notre humanité

6 août, Transfiguration du Seigneur 

 

O Cristo parola di vita

{link_prodotto:id=828}
FRÈRES ET SOEURS DE BOSE

«J’ai vu une grande lumière!» Rentrant en courant à la maison, le matin du 6 août 1945, c’est par ces mots qu’une jeune mère japonaise, qui habitait à une centaine de kilomètres d’Hiroshima, s’est exclamée en embrassant son fils de dix ans, Kenzaburo Oe, futur prix Nobel de littérature. La bombe atomique avait fait sa tragique apparition à l’horizon de l’humanité, comme lumière de mort et de dévastation. Pourtant, le chrétien ne peut pas ne pas relier cette date (le 6 août) et cette expérience («une grande lumière») avec la fête de la Transfiguration du Seigneur, que l’on célèbre précisément ce jour-là à partir du IVe siècle en Orient et du XIe en Occident.

Voici comment l’évangile de Matthieu décrit cet événement indescriptible: «Jésus fut transfiguré (littéralement: «changea d’aspect») devant Pierre, Jacques et Jean: son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière» (Mt 17,2). Durant cette fête, presque ignorée ou célébrée du moins distraitement dans l’euphorie des vacances qui contamine aussi de nombreux chrétiens, on contemple le visage du «Fils de l’homme» enveloppé d’une lumière destinée à l’humanité entière, à tout l’univers même, parce qu’il s’agit de la lumière de la vie divine qui, en Christ, veut atteindre toute créature: une lumière de vie et de communion.


Toutefois, dès la fixation de cette date par des moines de la Palestine, le choix du début d’août pour cette commémoration a eu encore une autre coïncidence extrêmement riche de sens: c’est durant ces mêmes jours que tombe en effet le 9 du mois d’Av, selon le calendrier juif, qui est un jour de jeûne et de deuil où le peuple d’Israël fait mémoire de la destruction du premier et du second temples (respectivement en 586 avant notre ère et en 70 de notre ère) et, à partir de là, de toutes les autres tragédies qui ont marqué son histoire, comme l’expulsion d’Espagne en 1942, jusqu’à la «catastrophe» maximale, la shoah de l’extermination nazi du siècle dernier.

Ainsi, née pour contempler le Christ, nouveau Temple, non construit de main d’homme, en coïncidence avec la mémoire de la destruction du Temple construit par l’homme, née pour célébrer le destin de lumière qui attend tout homme, la Transfiguration a fini par voir sa signification tragiquement étendue par le souvenir d’une lumière aveuglant l’humanité qui en est frappée et défigurant l’humanité qui la déclenche, et par la commémoration de l’anéantissement du lieu et du peuple choisi par Dieu pour se manifester. Tandis que les chrétiens, dans leurs églises inondées de lumière, célèbrent la gloire de Dieu qui resplendit sur le visage du Christ, les juifs, dans les synagogues plongées dans la pénombre d’une unique et modeste lampe, lisent le livre des Lamentations. Et sur tous, pèse l’ombre lugubre et inquiétante d’une lueur de mort, la nuée lumineuse d’une lumière exterminatrice. Paradoxe bouleversant: la lumière de vie de la transfiguration qui provient de Dieu et annonce le futur du monde en Christ contraste avec la lumière de mort produite par l’homme, qui menace le présent du monde et en compromet le lendemain. La transfiguration rappelle la beauté à laquelle l’humanité et l’univers entier sont destinés; Hiroshima et la shoah témoignent de l’abrutissement dont l’homme est capable. La transfiguration évoque, en la concentrant sur le Christ, la gloire à laquelle est destiné le corps humain, le cosmos lui-même; Hiroshima et la shoah révèlent la capacité de l’homme à défigurer la chair humaine, à gâter le corps et l’esprit, à dévaster le cosmos.


 

Pour un chrétien, célébrer la Transfiguration représente alors aussi un appel à la responsabilité et une exhortation à la com-passion, à la dilatation du cœur à l’égard de l’homme qui souffre. Ce n’est pas un hasard si, pour les évangiles, le Christ qui connaît la transfiguration est celui qui a à peine annoncé pour la première fois le destin de passion et de mort qui l’attend, la défiguration dont il souffrira de la part des hommes (cf. Mt 16,21-23): face au mal, Jésus choisit d’être victime plutôt que ministre. La transfiguration devient ainsi le oui de Dieu au Fils qui accepte la voie de la solidarité radicale avec les opprimés et les victimes de l’histoire. C’est un mystère de souffrance, alors, que recèle le cœur même de la transfiguration: celle-ci trouve dans le dynamisme pascal de mort-résurrection, de souffrance-vivification sa logique même.

De plus, si le 9 d’Av évoque les souffrances des juifs et Hiroshima rappelle les peines de tous les hommes, le Christ (qui est juif et l’est pour toujours) est celui qui réunit dans son corps d’homme et dans sa chair de juif les douleurs de l’humanité tout entière. Et la transfiguration devient espérance universelle, pour tous ceux qui souffrent, et même pour la création entière qui gémit dans l’attente de la rédemption. Aux chrétiens revient alors la tâche de célébrer la Transfiguration en espérant pour tous les hommes; faire mémoire de cet événement de la vie de Jésus est en effet la promesse que notre corps de misère et de péché sera lui aussi transformé, afin que soit rétablie en nous l’image pleine de Dieu. La transfiguration est le gage que Dieu travaille pour nous conformer à son Fils, jusqu’à nous rendre ressemblants à lui; c’est aussi le gage que tout notre être sera transfiguré, sans rupture avec notre situation humaine: pas même nos passions, nos sens, nos affections humaines ne seront détruits, mais ils seront radicalement transformés à travers une purification dont le protagoniste est Dieu. Vécue dans cette attente, la fête de la Transfiguration allume, dans l’aujourd’hui déjà, des lueurs d’espérance dans les cœurs et illumine les consciences en suscitant la compassion, la co-responsabilité, la fraternité authentique.

Enzo Bianchi

 

La transcendance de l'altérité


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : La transcendance de l'altérité
Ascension
Présence réelle dans l’absence physique, relation dans la distance: voilà le sens de l’Ascension, qui appelle les chrétiens à cheminer à la lumière de la foi

La résurrection de Jésus des morts, c’est sa glorification, son exode dans la gloire de Dieu, son retour au Père qui l’a rappelé des morts dans la puissance du Saint-Esprit. C’est auprès du Père qu’il faut chercher Jésus ressuscité, car à travers la résurrection s’est produite la pleine divinisation de sa chair et de sa mission.
Voilà la raison pour laquelle ni l’évangile de Matthieu ni celui de Jean ne racontent l’ascension de Jésus au ciel comme un événement particulier; Luc, en revanche, présente l’ascension comme le sceau qui met fin aux épiphanies pascales de Jésus. Après quarante jours — chiffre symbolique indiquant un temps qui s’est achevé, un temps d’attente et de transition — Jésus se manifeste, révélant sa montée au ciel, sa nouvelle demeure, sa présence invisible en Dieu. L’ascension est-elle alors la séparation de Jésus de ses disciples, de sa communauté, est-ce une prise de distance, ou est-ce au contraire la manifestation d’un nouveau rapport qui lie Jésus ressuscité à ceux qui l’ont vu, entendu, touché (cf. 1Jn 1,1), jusqu’à croire qu’il est le Messie, l’envoyé de Dieu, le fils de Dieu?


 

En vérité, l’ascension de Jésus au ciel, cet événement inénarrable avec nos mots capables seulement de raconter des faits humains, n’a pas été un arrachement ni la conclusion d’une aventure, celle de la vie de Jésus. En effet, lorsqu’on lit avec intelligence les récits de l’ascension, on n’y trouve pas le récit d’un «adieu», mais bien plutôt un envoi des disciples, une mission depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités du monde. Les disciples, allant dans le monde, proclameront l’Évangile à toute créature (cf. Mc 16,15) et feront avant tout l’expérience de la proximité, de la présence de Jésus; ils seront même conscients de n’être que des hommes et des femmes au service de la mission de Jésus, l’envoyé du Père. Le Christ est élevé auprès de Dieu pour mener son œuvre à son terme, pour pouvoir intercéder en faveur des hommes, parmi lesquels et avec lesquels il a habité sur la terre, en tant que vrai homme, durant près de trente-sept ans.


 

Ainsi, désormais, un rapport nouveau lie Dieu et l’humanité: cette séparation entre le ciel et la terre, entre le Créateur et la créature est devenue communion grâce à Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu. «Les cieux sont les cieux du Seigneur, la terre, il l’a donnée aux hommes», chantait le psalmiste (Ps 115,16); mais ces deux réalités sont maintenant conjointes en Jésus Christ: lui, en effet, est descendu du ciel sur la terre; il était de la condition de Dieu (cf. Ph 2,6) et s’est revêtu de chair humaine et mortelle (cf. Jn 1,14); dans cette réalité humaine, comprenant le corps, l’âme et l’esprit, il a souffert jusqu’à la mort; il est ressuscité et, dans la chair, il est monté au ciel. Désormais, «à la droite du Père», c’est-à-dire dans l’intimité de la vie de Dieu, il y a un corps d’homme, parce qu’en Christ les cieux sont descendus sur la terre et la terre est montée au ciel. Vraiment, Jésus a été tout à la fois Fils de Dieu et Fils de l’homme, capable d’être pour nous, les hommes, l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous.


 

Oui, l’évangile de Matthieu, précisément, qui s’était ouvert avec l’annonce de la venue de l’Emmanuel, du Dieu avec nous (cf. Mt 1,22-23), du Dieu qui vient à travers Jésus, se referme maintenant sur les paroles qui assurent que cette présence de Dieu parmi les hommes continue: «Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde» (Mt 28,20). L’ascension est donc une autre manière de saisir la victoire de Jésus sur la mort, qui nous permet de discerner Jésus auprès du Père et pourtant toujours parmi nous. Et pour nous, les hommes, il y a désormais en Dieu un corps d’homme transfiguré et glorifié, un corps d’homme divinisé, dans lequel la mort a été vaincue et, avec elle, tout pouvoir du mal: désormais — s’exclame l’apôtre Paul — «qui accusera les élus de Dieu? Qui condamnera? Le Christ Jésus, celui qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous?» (Rm 8,33-34).


 

Présence réelle dans l’absence physique, relation dans la distance: voilà le sens de l’ascension, qui appelle les chrétiens à cheminer à la lumière de la foi et non de la vision (cf. 2Co 5,7), en développant la sensibilité de la foi, les «sens spirituels», à savoir la capacité du cœur humain à voir, à écouter, à toucher, à goûter, à sentir. Le Christ est auprès de Dieu et à la fois présent parmi les hommes et dans l’histoire; confesser ce mystère nous enseigne l’«au-delà» de l’autre: le visage de l’autre, irréductiblement sien, évoque un mystère de transcendance et d’ultériorité; il invite au respect ainsi qu’à la communion. L’ascension conteste toute voracité et tout désir de possession, tant dans la relation avec Dieu que dans les relations humaines: vraiment, c’est un grand magistère de liberté!

 Tré de: ENZO BIANCHI, Donner sens au temps, Bayard 2004.

L'unité dans la diversité


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite : L'unité dans la diversité
Pentecôte
Réunion des fils de Dieu dispersés, anti-Babel, la fête de Pentecôte est le début des temps derniers. L’Esprit vient mettre en communion Dieu et les hommes

Selon le quatrième évangile, Jésus ressuscité, le jour même de sa résurrection, vint au milieu de ses disciples, les salua en leur transmettant sa paix, se fit reconnaître à travers les signes de la passion et de la mort imprimés dans son corps, et «souffla sur eux et leur dit: “Recevez l’Esprit Saint”» (Jn 20,22). Dans les Actes des apôtres, après que Jésus est monté au Père, tandis que les disciples sont réunis, l’Esprit Saint descend, comme un vent violent et bruyant, comme des langues de feu flamboyantes (cf. Ac 2,1-4).
Les récits de Jean et de Luc nous disent avant tout que l’Esprit même qui, envoyé par le Père, a ressuscité Jésus et lui a donné une vie nouvelle, a aussi été transmis par Jésus à ses disciples, de telle sorte que le Seigneur et sa communauté vivent d’un même Esprit. Pentecôte signifie donc la plénitude de l’épiphanie pascale, car les énergies du Ressuscité se déversent sur l’ensemble des disciples. Ces derniers parviennent, grâce à l’Esprit Saint, à la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu, à la capacité d’en témoigner et de l’annoncer dans l’histoire et dans le compagnonnage avec les hommes.
Pentecôte, pour le peuple d’Israël, était la fête qui rappelait le don de la Loi au Sinaï, la fête de l’alliance. Pour la communauté de Jésus, le don de l’Esprit en fait la célébration de l’alliance nouvelle, définitive. Jésus n’a pas laissé son Église seule; l’Ascension au ciel ne s’était pas produite comme une séparation qui mettait fin à son action dans le monde: la communauté des croyants partage en effet avec son Seigneur la même vie, le même Esprit, et cela l’habilite à poursuivre l’action de Jésus, qui est d’annoncer la bonne nouvelle, de faire le bien, de guérir ceux que le diable tient asservis. Comme Jésus fut consacré dans l’Esprit et rendu ainsi apte à sa mission, de même en va-t-il pour l’Église à la Pentecôte (cf. Ac 10,38).


 

C’est pour cette raison que le quatrième évangile tient à souligner le fait que l’Esprit est donné pour que les disciples annoncent la rémission des péchés et réunissent les fils de Dieu dispersés, tandis que les Actes attestent que l’annonce du Christ ressuscité est faite à l’Église en langues diverses, comme l’Esprit donnait aux apôtres de s’exprimer. Le Saint-Esprit étant descendu à travers le miracle des langues de feu, les paroles qui annoncent le Ressuscité, la bonne nouvelle, sont comprises par les différents habitants des nombreux pays de l’aire méditerranéenne. Bernard de Clairvaux a écrit: «L’Esprit descendit sur les disciples comme langues de feu afin qu’ils disent des paroles de feu dans toutes les langues de tous les peuples et qu’ils annoncent une loi enflammée avec des langues enflammées.»
Réunion des fils de Dieu dispersés, anti-Babel, la fête de Pentecôte est le début des temps derniers, le temps de l’Église. À Babel s’était produite la confusion des langues et la tentative de réunir de façon stable le ciel et la terre par la construction d’une tour qui montait au ciel; à Pentecôte se produit le miracle des langues entendues et comprises par tous, et c’est l’Esprit qui descend pour mettre en communication, en communion, Dieu et les hommes. C’est le miracle de la compréhension retrouvée dans une unique parole! Oui, les langues des hommes restent différentes, et cette pluralité de langues, de cultures, d’histoires n’est pas gommée; mais le Saint-Esprit crée une unité articulée, plurielle: l’unique corps du Seigneur qu’est l’Église est composé de nombreux dons et de nombreux membres. La diversité doit subsister sans annuler l’unité, l’unité doit s’affirmer sans supprimer la multiplicité.

 


Le miracle des langues suscité par l’Esprit indique à l’Église sa tâche de concilier l’unité de la Parole de Dieu avec la multiplicité des modes selon lesquels elle doit être vécue et annoncée dans l’unique communauté des croyants et parmi tous les peuples: ainsi l’Église ne cherchera pas à s’imposer par son langage propre, mais elle s’introduira dans les langages des autres hommes pour annoncer les merveilles de Dieu selon leurs formes et leurs modalités de compréhension.
L’Esprit répandu à Pentecôte engage l’Église, aujourd’hui encore, à créer des voies et à inventer des modes qui fassent de l’altérité non pas un motif de conflit et d’inimitié, mais de communion. Ainsi l’Église, et toute communauté chrétienne, pourra être signe du Royaume universel qui viendra et auquel est appelée l’humanité tout entière à travers, et non pas malgré, les différences qui la traversent. Tout cela affine la sensibilité et l’attention que les chrétiens doivent manifester pour l’œcuménisme et le dialogue avec les autres religions. La conscience des racine juives de la foi chrétienne, de l’hébraïcité pérenne de Jésus, d’Israël comme peuple de l’alliance jamais révoquée et la conscience, tout à la fois, de la destination universelle du salut chrétien, de la multiplicité des peuples et des cultures où l’Évangile est appelé à être ensemencé, devraient faire partie du bagage de tout chrétien majeur. De même, la certitude que l’œcuménisme est un élément constitutif de la foi du baptisé devrait aussi y appartenir: le chrétien est appelé, en tant que disciple du Christ Jésus, à prier et à agir pour supprimer le scandale de la division entre chrétiens.

 Tiré de: ENZO BIANCHI, Donner sens au temps, Bayard 2004.

"O mort, où est ta victoire?"


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/monast59/public_html/templates/yoo_moustache/styles/bose-home/layouts/article.php on line 44

Lire la suite :
Pâques
Tous les hommes, même s’ils ne connaissent pas Dieu, portent dans leur cœur le sens de l’éternité

 

 

«Le seul vrai péché, c’est de rester insensible à la résurrection», disait Isaac de Ninive, un père de l’Église ancienne. Pour cette raison précise, il est possible, le jour de Pâques, de mesurer la foi du chrétien et de discerner sa capacité d’espérer pour tous et de communiquer à tous les hommes cette espérance. Le jour de Pâques, tout chrétien proclame la victoire de la vie sur la mort, parce que Jésus le Messie est ressuscité de la mort afin d’être le Vivant pour toujours: celui qui, étant homme comme nous, chair comme nous sommes chair, qui est né et a vécu parmi nous, celui qui est mort de mort violente, qui a été crucifié et a été enseveli, celui-là même est ressuscité!

Ô mort, où est ta victoire? Ô mort, tu n’es plus le dernier mot pour les hommes, mais tu es devenue un passage, l’heure de l’exode de la vie terrestre à la vie éternelle, de ce monde au Royaume de Dieu…
En ce jour de Pâques, la fête des fêtes, cela devrait être le chant du chrétien, parce que le Christ est ressuscité, prémices de nous tous, parce que la vie règne définitivement et qu’en toute créature a commencé un processus secret mais réel de rédemption, de transfiguration.


 

La mort est une dominante qui pèse sur tous les hommes, une véritable puissance efficace: non seulement parce qu’elle inspire la peur et l’angoisse, contredisant la vie des hommes, mais aussi parce que, à cause d’elle, les hommes deviennent mauvais, et pèchent. Le péché est toujours égoïsme, qui contredit la communion avec les hommes et avec Dieu, et c’est précisément la présence de la mort qui déchaîne ce besoin de se sauver, voire de vivre sans les autres ou contre les autres. La mort n’est pas seulement «le salaire du péché» (Rm 6,23), elle est aussi instigation au péché… Car si les hommes sont poussés à pécher, c’est à cause de l’angoisse de la mort, de cette peur qui rend les hommes esclaves pour leur vie tout entière (cf. Hé 2,14-15). En raison de l’angoisse et de la peur, le désir de vie des hommes se fait haine, méconnaissance de l’autre, concurrence, rivalité, violence. L’angoisse peut tout défigurer, même l’amour. La mort apparaît ainsi active et présente non seulement au moment où la vie physique du corps humain s’éteint, mais aussi auparavant: elle est puissance qui réalise ses incursions dans la sphère de l’existence et porte atteinte à la plénitude des relations et de la vie.
Voilà la mort contre laquelle Jésus a lutté jusqu’à remporter la victoire. L’agonía qui a commencé pour Jésus au jardin des Oliviers (Lc 22,44) est une lutte (agón) qui s’est conclue par la descente aux enfers, lorsqu’il a défait de manière définitive le diable — et donc la mort et le péché. Et Jésus n’a pas vaincu seulement sa mort, mais la Mort: «Par la mort, il a vaincu la mort», chante la liturgie pascale! Or cette dimension de lutte est essentielle pour le chrétien: toute la vie est une lutte, une guerre contre la mort qui nous habite et contre les pulsions de mort qui nous attirent.


La résurrection de Jésus est donc le sceau apposé par le Père sur la lutte du Fils, sur son agón: celui-ci, montrant qu’il avait une raison pour mourir (donner sa vie pour les autres), a montré tout à la fois qu’il existe une raison pour vivre (aimer, demeurer dans la communion). Alors le Père l’a rappelé des morts, faisant de lui le Seigneur pour toujours.

Tous les hommes, même s’ils ne connaissent pas Dieu ni son dessein, portent dans leur cœur le sens de l’éternité, et tous se demandent: «Que pouvons-nous espérer?» Ils savent que, s’ils restent insensibles à la résurrection, ils s’interdisent de connaître «le sens du sens» de leur vie. Les hommes attendent, ils cherchent avec fatigue, et parfois par des chemins égarés, la bonne nouvelle de la vie plus forte que la mort, de l’amour plus fort que la haine et la violence. Le Christ, ressuscité et vivant pour toujours, est la vraie réponse; elle exige des chrétiens ce récit authentique que ne peut donner que celui qui a fait l’expérience du Vivant. Où sont ces chrétiens? Car oui, il y a aujourd’hui encore des chrétiens capables d’exprimer cela: il y a à nouveau des martyrs chrétiens, il y a à nouveau des prophètes chrétiens, il y a des témoins qui ne rougissent pas de l’Évangile. Une fois encore, aujourd’hui comme en ce matin de la résurrection, ce message nous parvient du tombeau vide: «Ne craignez pas, n’ayez pas peur, ne soyez pas dans l’angoisse! Le Crucifié est ressuscité et il vous précède!» Oui, pour l’Église, désormais, un printemps est proche, une saison où l’Esprit du Ressuscité se rendra plus présent que jamais, une saison où la Parole de Dieu sera moins rare.


Et cette saison n’autorisera pas de fugues, ni d’évasions, ni de spiritualismes, mais elle permettra de vivre la résurrection dans l’existence, dans l’histoire, dans l’aujourd’hui, de telle sorte que la foi pascale devienne efficace ici et maintenant déjà. Que signifie cela, selon les évangiles? Que les chrétiens doivent manifester la résurrection dans le compagnonnage avec les hommes, qu’ils doivent attester devant les hommes que la vie est plus forte que la mort, et qu’ils le feront lorsqu’ils bâtiront des communautés où l’on passe du «je» au «nous», lorsqu’ils pardonneront sans demander la réciproque, lorsqu’ils vivront la joie profonde qui demeure même dans les situations d’opposition, lorsqu’ils auront de la compassion pour toute créature, en particulier les derniers, ceux qui souffrent, lorsqu’ils réaliseront la justice qui libère des situations de mort où gisent tant d’hommes, lorsqu’ils accepteront de dépenser leur vie pour les autres, lorsqu’ils renonceront à s’affirmer eux-mêmes sans les autres ou contre eux, lorsqu’ils donneront leur vie librement et par amour, jusqu’à prier pour leurs assassins mêmes.

Parce que la cœur de la foi chrétienne se situe là précisément: croire l’incroyable, aimer le non-aimable, espérer contre toute espérance. Oui, la foi, l’espérance et l’amour ne sont possibles que si l’on croit à la résurrection. Alors, vraiment, notre dernier mot ne sera pas la mort ni l’enfer, mais la victoire sur la mort et sur l’enfer. Pâques ouvre pour tous l’horizon de la vie éternelle: que cette Pâques soit une Pâques d’espérance pour tous. Vraiment pour tous!

Tiré de ENZO BIANCHI, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004.