Silence de Dieu, silence de l'homme


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Détrempe sur table, Maestà - Siena
DUCCIO DI BONINSEGNA, Descente aux enfers, 1310 ca.
Samedi saint
"Il est descendu aux enfers", confessons-nous dans le Credo. Voilà ce qui se produit, de façon cachée, le Samedi saint

 

Il peut sembler paradoxal de parler du Samedi saint: pour les chrétiens, c’est un jour marqué par le silence, un jour à l’apparence d’un «temps mort», vide de sens. Même les évangiles taisent ce «grand samedi»: le récit de la passion de Jésus s’arrête au soir du vendredi et ne reprend qu’à l’aube du premier jour de la semaine, le troisième jour, justement. Un jour vide, donc? Dans la tradition chrétienne occidentale, le Samedi saint est le seul jour sans célébration eucharistique, jour «a-liturgique», sans célébration particulière: les cloches gardent le silence, dans les églises dépouillées il n’y a ni flamme allumée ni chant… Même la prière des chrétiens se fait silencieuse et chargée avant tout d’attente: attente de ce qui transformera profondément toute chose, toute histoire. Certes, la Pâques est un événement survenu eph’hapax, «une fois pour toutes», le 9 avril de l’an 30, le Christ ressuscité ne meurt plus; nous ne célébrons pas un mystère cyclique comme le faisaient les païens… Et pourtant, nous sommes appelés à vivre ce jour en en saisissant le message propre: nous le vivons dans la foi que le Seigneur crucifié est vivant parmi nous mais, discernant le deuxième jour du triduum pascal comme un jour de silence, d’attente, de non-dit, nous assumons une dimension qui nous habite toujours et qui parfois — dans notre vie, dans celle des autres ou de peuples entiers — prend une envergure durable, non momentanée, ni passagère.

Samedi saint, lendemain de la mort, temps rempli pour les disciples par la fin de l’espérance, par une aporie, un vide sur lequel incombe le non-sens, l’insupportable douleur, la lacération d’une séparation définitive, d’une blessure mortelle: où est Dieu? Voilà la sourde question du Samedi saint. Où est ce Dieu qui était intervenu au baptême de Jésus, ouvrant les cieux pour dire: «Tu es mon Fils, en toi j’ai mis ma joie» (Mc 1,11)? Où est ce Dieu qui était intervenu sur la montagne, à l’heure de la transfiguration, et s’était exclamé: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé» (Mc 9,7)? Au moment de la croix, Dieu n’est pas intervenu, Jésus s’est senti abandonné et le lui a crié: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» (Mc 15,34). Tout un jour s’écoule, et Dieu n’intervient pas… Pourtant Dieu n’a pas abandonné Jésus: si l’abandon semble l’amère vérité pour les disciples, en réalité, Dieu a déjà appelé Jésus à soi; ou mieux: il l’a déjà ressuscité dans son Saint-Esprit, et Jésus vivant est aux enfers pour annoncer là aussi la libération. «Il est descendu aux enfers», confessons-nous dans le Credo. Voilà ce qui se produit, de façon cachée, le Samedi saint: ce jour vide, silencieux pour les disciples et pour les hommes, est le jour où le Père — qui «est toujours à l’œuvre» (cf. Jn 5,17), comme l’a dit Jésus — à travers lui, porte le salut aux enfers. Comme Jonas est resté dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits (cf. Mt 12,40), ainsi Jésus a été déposé de la croix dans la tombe et, de là, est descendu encore, aux enfers, au séjour des morts.