L'Église trouve sa mission dans le service de la Parole de Dieu
4. La Parole de Dieu entre force et faiblesse: le dialogue
L'Écriture proclame à plusieurs reprises l'efficacité et la puissance de la Parole de Dieu. Mais il faut aussitôt spécifier que son efficacité n'est pas magique: elle se déploie dans la foi du croyant, et sa puissance trouve sa manifestation suprême dans le paradoxe de l'extrême faiblesse du Crucifié; c'est « la parole de la croix » (1Co 1,18). Davantage encore: dès la première page de la Bible, qui nous présente l'efficacité de la parole que Dieu prononce pour créer le monde et tous les êtres vivants, elle apparaît également douce. Pour instaurer l'harmonie voulue par Dieu, la parole divine n'élimine pas les ténèbres ni le chaos, mais elle y met de l'ordre en séparant, en distinguant, en plaçant des limites et en traçant des frontières. La parole de Dieu ne détruit pas, elle n'élimine pas, elle n'exclut pas, mais elle crée l'ordre à partir du chaos, elle fait resplendir la lumière dans les ténèbres, elle donne une forme à ce qui n'en a pas. La puissance de la parole de Dieu se manifeste comme patience, comme accueil de ce qui est négatif et comme ouverture à une histoire nécessairement dialectique. Elle n'apparaît jamais comme intolérance ni comme refoulement du négatif. La force de la parole de Dieu est une force douce: en créant l'homme, Dieu s'expose à la liberté et à l'altérité humaine en les accueillant avec patience et douceur. La force de Dieu se manifeste à travers la limitation qu'il impose à sa propre force. Sa douceur est sa capacité de domestiquer sa force et de la placer au service de la rencontre avec l'autre.
Or la douceur de la parole trouve sa manifestation dans le dialogue. C'est ce qui ne se produit précisément pas entre Caïn et Abel, et conduit à l'homicide. La parole qui prend place entre Dieu et l'homme, entre l'homme et l'homme, est le lieu de la douceur. Et cette parole qui « s'interpose », qui « prend place entre », est le dialogue (dià-lógos). Le Christ, comme parole qui se place entre Dieu et l'humanité, est le lieu du dialogue et de la rencontre entre Dieu et les humains. Comme parole faite chair, il est aussi douceur faite personne (voir Mt 11,29). La douceur du Christ comme Parole faite chair est l'indication d'une méthode incontournable pour l'Église dans sa mission d'évangélisation: le dialogue. Paul VI a bien compris et exprimé le caractère délicat du dialogue et sa dimension ecclésiologique, constitutive de l'Église, lorsqu'il a écrit: « L'Église doit en venir au dialogue avec le monde où elle se trouve à vivre. L'Église se fait parole; l'Église se fait message; l'Église se fait dialogue… La douceur est un caractère propre du dialogue; c'est elle que le Christ nous propose d'apprendre de lui-même: “Mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur” (Mt 11,29). Le dialogue n'est pas orgueilleux, il n'est pas acéré, il n'est pas offensif. Son autorité est intrinsèque par la vérité qu'il expose, par la charité qu'il diffuse, par l'exemple qu'il propose. Il ne commande pas, il n'impose pas. Il est pacifique; il évite les manières violentes; il est patient, il est généreux » (Ecclesiam suam).
L'Église reçoit du Dieu qui parle non seulement la mission d'annoncer au monde sa parole, mais aussi la manière pour faire cette annonce: la douceur, la mansuétude, le respect (voir 1P 3,15). La parole de Dieu, qui est le contenu que l'Église doit annoncer, indique également à l'Église la modalité, la forme précise dans laquelle cette annonce doit se faire: on ne peut annoncer la parole de tendresse qu'est le Christ par des tons arrogants, violents, intolérants, irrespectueux. La Parole que les évangélisateurs annoncent et dont ils témoignent, qui est le Christ même, exige d'eux qu'ils soient eux-mêmes doux; elle tend à modeler une Église animée de la force de la douceur.