Prière et évangélisation

Bruxelles, Basilique du Koekelberg, 3 novembre 2006
Rencontre européenne sur l'évangélisation Bruxelles-Toussaint 2006
Pour établir le rapport étroit qui existe entre la prière et l’évangélisation, je crois nécessaire de partir avant tout d’une compréhension correcte de ce qu’est en vérité la prière. C’est donc surtout sur la prière que je veux méditer aujourd’hui avec vous.

 Car nous avons certes à apprendre toujours à nouveau à transmettre la bonne nouvelle de l’Évangile ; mais nous devons, d’abord et plus encore, apprendre toujours mieux à prier. J’irais jusqu’à dire que notre prière elle-même est appelée être évangélisée, pour qu’elle soit une réponse authentiquement chrétienne au Dieu qui nous parle.

La définition classique de la prière comme élévation de l’âme à Dieu apparaît insuffisante aujourd’hui, notamment parce que la pensée contemporaine semble allergique aux conceptions verticales et ascendantes disséminées dans toute la spiritualité chrétienne. Si l’on est parvenu à se demander comment il est encore possible de prier après Auschwitz, c’est précisément parce que l’on considère la prière comme l’explicitation d’un désir humain qui a connu l’échec au milieu du siècle dernier, et a manqué son accomplissement. On a alors conclu que Dieu est mort, sans se demander si ce ne sont pas plutôt les hommes qui sont morts par rapport à sa réalité. Or la présence de Dieu est donnée, et ce n’est pas à nous de la façonner ou de la rejoindre par nos efforts ; il ne nous appartient que d’accueillir sa venue épiphanique ou son retrait caché. C’est vrai, « ce ne sont pas les morts qui louent le Seigneur » (Ps 115,17), comme le dit le psalmiste ; non toutefois parce que les vivants ont le désir de Dieu, mais bien parce que notre Dieu est le Dieu des vivants : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ! » (Mc 12,26-27). Notre Dieu, le Dieu de la révélation biblique, est le sujet ; il est le Dieu vivant qui ne se tient pas au terme d’un raisonnement de notre part, il ne se trouve pas dans la logique de nos concepts, mais dans ses actions. C’est lui qui établit, dès le début, le dialogue avec nous ; c’est lui qui, de la Genèse à l’Apocalypse, cherche, interroge, appelle l’homme lequel – face à cette révélation de Dieu dans l’histoire pour le salut et la libération des hommes – ré-agit dans la foi à travers la bénédiction, la louange, l’action de grâces, la demande, l’adoration, c’est-à-dire à travers la prière qui devient obéissance et s’exprime comme charité envers Dieu et envers les autres.

C’est en tenant compte de cette perspective que je voudrais tenter de situer la prière dans son cadre biblique, où il apparaît toujours clairement qu’elle n’est pas une recherche de Dieu, mais une réponse, que ses formes sont des accidents et que son but est la charité. La prière, en effet, est une ouverture à la communion de Dieu, donc à l’agape. Ainsi, dans la prière, le « je » qui s’élève à Dieu est définitivement décentré, au profit de cet agent, de ce sujet qu’est le Dieu qui nous a aimés le premier et qui, en reversant son amour dans l’accueil que lui offre notre prière, le répand dans le monde à travers nous, qui sommes appelés à aimer.
Dans cette optique, la prière chrétienne est alors avant tout écoute qui conduit à l’accueil d’une présence, la présence trinitaire. L’opération est simple, mais non pour autant facile ; elle est au contraire laborieuse et exige la capacité au silence, à la sobriété, à la lutte anti-idolâtre contre le temps. Ce n’est qu’ainsi que la prière pourra retrouver la source de sa dimension évangélisatrice, de sa dimension de dialogue d’amour qui annonce la bonne nouvelle du Dieu ami des hommes.