Le don de l'hospitalité

De ce partage, passionné de l’autre et tout à la fois respectueux de son altérité, naît une connaissance nouvelle de l’hôte : celui qui était étranger, dont on ignorait la provenance, dont on avait de la peine à comprendre le langage, devient quelqu’un de familier, commence à faire partie de ce cercle de personnes et de mondes qui constitue « notre » monde, fait de ressemblances et d’altérités, d’habitudes et de nouveautés, de traditions reçues et de nouvelles pistes à explorer. Cet élément « socialisant » de l’hospitalité ne devrait pas être oublié. Lorsqu’une personne en accueille une autre ou qu’elle en est accueillie, ce n’est pas la rencontre entre deux individualités qui se produit, mais celle entre deux mondes, parce que « personne n’est une île ». Ainsi lorsque nous accueillons une autre personne, nous emmenons toujours avec nous notre histoire, les personnes qui l’ont traversée, les rencontres qui l’ont déterminée, la culture qui l’a orientée. De manière analogue, l’hôte reçu n’est pas non plus un individu isolé, il ne vient jamais seul : il porte avec lui son passé, les personnes et les vicissitudes qui l’ont fait souffrir ou qui l’ont réjoui, les espérances et les désillusions, l’avenir qu’il attend et celui dont il ignore tout. Oui, même dans le face à face de deux personnes, l’hospitalité reste un lieu communautaire par excellence : ce sont deux mondes qui se rencontrent à travers le croisement de deux regards et le dialogue de deux visages. Peut-être est-ce aussi pour cela que l’hospitalité pratiquée et reçue dans un monastère est plus facilement perçue dans cette dimension englobante : dans le vécu quotidien de frères et de sœurs émerge avec plus d’évidence la complexité d’événements et de personnes qui ont construit l’« autre » qui se tient en face de moi.

Avoir tenté et tenter quotidiennement de pratiquer l’hospitalité de cette manière durant toutes ces années a apporté un don toujours renouvelé et toujours inattendu : l’hôte, en effet, est un don pour celui qui l’accueille. Presque sans nous en apercevoir, nous découvrons qu’en faisant place à l’autre dans notre maison et dans notre cœur, sa présence ne soustrait pas d’espace vital mais élargit les pièces et les horizons, de même que son départ ne laisse pas un vide mais dilate le cœur jusqu’à embrasser le monde entier. C’est ce don que nous souhaitons pouvoir continuer à nous échanger les uns les autres à travers le ministère précieux de l’hospitalité offerte et reçue. Désormais nos routes sont aussi les vôtres : joies et douleurs, rencontres et séparations nous réjouissent et nous attristent, alors que votre proximité fidèle nous aide dans le labeur persévérant de notre fidélité ; elle nous fait nous sentir com-pagnons, amis qui partagent le pain et l’assaisonnent des mots de la fraternité et de la consolation.

Merci, chers amis et chers hôtes, vous qui êtes le baume pour nos blessures !

Le prieur de Bose, fr. Enzo,
avec les frères et les sœurs de la communauté