Patience

Les icônes de Bose, Visage du Christ - style italique
...la patience a été pleinement manifestée par l’envoi du Fils Jésus Christ...

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi, fondateur de Bose

La patience est l'attention au temps de l'autre, dans la pleine conscience que l'on vit le temps au pluriel, avec les autres, en en faisant un événement de relation, de rencontre, d'amour.

L’Écriture atteste que la patience est avant tout une prérogative divine: selon Exode 34,6, Dieu est makrothymos, «longanime», «magnanime», «patient» (en hébreux, l'expression équivalente signifie littéralement: «lent à la colère»). Le Dieu lié par alliance au peuple à la «nuque raide» ne peut que, de façon constitutive, être patient. Cette patience a été pleinement manifestée par l'envoi du Fils Jésus Christ et par sa mort pour les pécheurs, et elle détermine encore le temps présent: «Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis (...), mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent à la conversion» (2 Pierre 3,9). La patience du Dieu biblique s'exprime de la meilleure manière dans le fait qu'il est le Dieu qui parle: en parlant, il donne à l'homme le temps pour une réponse, et il attend donc que celui-ci arrive à la conversion. Mais la patience de Dieu ne doit pas être confondue avec l'impassibilité de Dieu; elle est bien plutôt «la longue haleine de sa passion» (Eberhard Jüngel). Elle est la clairvoyance de son amour, un amour qui «ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive» (Ezéchiel 33,11), et elle est une force à l'œuvre même lorsque le mouvement de conversion n'est pas encore achevé.

La patience de Dieu trouve ainsi son expression la plus chargée de sens dans la passion et la croix de Christ: là, la dissymétrie entre le Dieu qui patiente et l'humanité pécheresse s'amplifie jusqu'à la démesure de la passion d'amour et de souffrance de Dieu dans le Fils Jésus Christ crucifié. Dès lors, la patience, comme vertu chrétienne, est un don de l'Esprit (Galates 5,22) prodigué par le Crucifié-Ressuscité, et elle se présente comme la participation aux énergies provenant de l'événement pascal.
Pour le chrétien, la patience est donc une propriété de la foi: elle est à la fois persévérance, c'est-à-dire foi qui dure dans le temps, et tout à la fois makrothymía, «capacité de voir et de ressentir en grand», c'est-à-dire art d'accueillir et de vivre l'inachevé. Ce second aspect indique que la patience est nécessairement humble: elle pousse l'homme à reconnaître son incomplétude personnelle, et elle devient patience envers soi-même; elle reconnaît l'inachèvement et la fragilité des relations avec les autres, et prend ainsi la forme d'une patience à l'égard des autres; elle reconnaît enfin l'inachèvement du projet divin de salut, et se présente comme espérance, comme invocation et comme attente du salut. La patience est la vertu d'une Église qui attend le Seigneur, qui vit le «pas encore» de façon responsable, sans anticiper la fin et sans se poser soi-même comme la fin du dessein de Dieu.

Elle rejette l'impatience de la mystique et de l'idéologie et parcourt le chemin laborieux de l'écoute, de l'obéissance et de l'attente à l'égard des autres et de Dieu, pour construire ce qu'il est possible d'une communion historique et limitée avec les autres et avec Dieu. La patience est l'attention au temps de l'autre, dans la pleine conscience que l'on vit le temps au pluriel, avec les autres, en en faisant un événement de relation, de rencontre, d'amour. Or notre époque est envoûtée par la fascination d'un «temps sans liens»; où l'on imagine souvent la liberté comme une absence d'obligations, de liens, comme la possibilité de réaliser du jour au lendemain des recommencements absolus, qui ramèneraient à un point de départ immaculé, en annulant ou en supprimant tout ce que l'on vivait auparavant, et avant tout les relations et les engagements pris. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, peut-être, le discours sur la patience peut apparaître aussi déplacé, et en même temps aussi urgent et nécessaire. Oui, pour le chrétien, elle est aussi centrale que l'agapé, que le Christ même. La patience, c'est-à-dire le fait d'assumer le temps de l'autre (de Dieu et de l'autre homme) comme déterminant dans ma propre existence, est en effet l'œuvre de l'amour. «L'amour prend patience» (makrothymeî), dit Paul (1 Corinthiens 13,4). Et la mesure et le critère de la patience ne peuvent résider, en dernière instance, que dans la «patience du Christ» (2 Thessaloniciens 3,5: hypomonè toû Christoû).
Voilà pourquoi la patience a souvent été définie par les Pères de l’Église comme la summa virtus (cf. Tertulien, De la patience I,7): elle est essentielle à la foi, à l'espérance et à la charité.

Cyprien de Carthage écrivait: «Le fait d'être chrétien est affaire de foi et d'espérance; mais pour que la foi et l'espérance puissent parvenir à porter leurs fruits, elles ont besoin de patience» (Cyprien, La vertu de patience 13). Fondée dans la foi en Christ, la patience devient «force à l'égard de soi-même» (Thomas d'Aquin), capacité de ne pas désespérer, de ne pas se laisser abattre dans les tribulations et les difficultés, elle devient persévérance, capacité de demeurer et de durer dans le temps sans dénaturer notre propre identité, et elle devient aussi capacité de «sup-porter» les autres, de soutenir les autres et leur histoire. Cette opération spirituelle n'a rien d'héroïque, mais elle repose seulement sur la foi d'être à son tour soutenu par les bras du Christ étendus sur la croix.
Dans cette œuvre difficile, le croyant est soutenu par une promesse: «Celui qui tiendra bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé» (Matthieu 10,22; 24,13). Cette promesse doit être comprise comme un appel, non pas simplement à rester ferme dans une profession de foi, mais à mettre en pratique la persévérance et la patience active tant dans les rapports intra-ecclésiaux, intra-communautaires («supportez-vous les uns les autres», Colossiens 3,13), que dans les rapports de la communauté chrétienne ad extra, avec tous les autres hommes («ayez de la patience envers tous», 1 Thessaloniciens 5,14). La patience devient ainsi une qualité qui interpelle la structure interne de la communauté chrétienne et sa présence au monde, parmi les autres hommes, parmi les non-croyants. Et tout en interpellant, elle inquiète!