Écoute

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Les mots de la vie intérieure
par Enzo Bianchi

Dans la vie spirituelle, on croît à mesure que l'on descend dans les profondeurs de l'écoute

«Incapables d'écouter et de parler»: c'est ainsi que sont les hommes, selon un fragment d'Héraclite. Le chrétien est pleinement conscient que sa capacité de parler à son Dieu, qu'il ne peut pas voir, dépend du fait qu'il l'écoute. La foi naît de l'écoute: fides ex auditu (Romains 10,17), et la prière est avant tout écoute, une écoute de Dieu à travers le sacrement de sa Parole que sont les Écritures, et une écoute de Dieu dans l'histoire, dans le quotidien; une écoute devenue possible quand la longue fréquentation de l’Évangile a éduqué le discernement du croyant. Le chrétien trouve en effet la source de sa vision dans l'écoute. Il n'est dès lors pas étonnant que le christianisme soit avant tout une ascèse de l'écoute, un art de l'écoute. Le Nouveau Testament appelle à prêter attention à qui on écoute, à ce qu'on écoute, à comment on écoute. Ce qui implique un discernement continuel entre la Parole et les paroles, un pénible travail de reconnaissance de la Parole de Dieu dans les paroles humaines, de sa volonté dans les événements historiques, et une disposition globale de toute la personne humaine.

Dans la vie spirituelle, on croît à mesure que l'on descend dans les profondeurs de l'écoute. Écouter, en effet, ne signifie pas seulement reconnaître la présence de l'autre, mais accepter de faire place en soi à cette présence, au point de devenir demeure de l'autre. L'expérience de l'inhabitation de la présence divine en soi (les visites du Verbe dont saint Bernard se déclare à plusieurs reprises bénéficiaires à la suite de sa lectio biblique) ne peut pas être dissociée du fait de devenir capable d'«offrir l'hospitalité» aux autres grâce à l'écoute. On comprend ainsi que celui qui écoute, qui définit son identité sur la base du paradigme de l'écoute, est aussi celui qui aime: il est vrai que l'amour, à sa racine, naît de l'écoute, amor ex auditu. L'écoute «de Dieu», avec toutes les dimensions que cela exige — le silence, l'attention, l'intériorisation, l'effort spirituel pour retenir ce qu'on a écouté, le décentrement de soi et le recentrement sur l'Autre —, devient accueil, ou mieux: dévoilement en soi d'une présence qui nous est plus intime que notre propre «moi». L'écoute pousse le croyant à refaire l'expérience de Jacob, quand le patriarche s'exclama: «Le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas» (Genèse 28,16). Mais le lieu de Dieu n'est autre que la personne humaine. Pour la Bible, en effet, Dieu n'est pas «Celui qui est », mais «Celui qui parle»; et en parlant, il cherche une relation avec l'homme et suscite sa liberté: car si la Parole est un don, elle peut toujours être accueillie ou refusée. C'est la raison pour laquelle la vie spirituelle chrétienne fait aussi de la lecture une ascèse, un mouvement à la rencontre de Celui qui parle à travers la page biblique.

La tradition juive appelle la Bible Miqra', un terme qui indique un «appel» à sortir «de» pour aller «vers»: tout acte de lecture de la Bible, pour un croyant, est le commencement d'un exode, d'un chemin de sortie hors de soi pour rencontrer un Autre. Un exode qui se produit essentiellement dans l'écoute! Ce n'est pas un hasard si les récits bibliques affirment que le grand obstacle au chemin de libération, à travers l'exode, du peuple d'Israël hors d’Égypte, a été la «dureté de cœur», la «nuque raide», c'est-à-dire l'obstination à ne pas écouter Dieu pour s'écouter seulement soi-même. Mais il est vrai aussi que l'expérience biblique, puis l'expérience du croyant, découvre que Dieu est aussi «Celui qui écoute la prière». En écoutant, l'homme est poussé à connaître l'écoute de Dieu comme une dimension où il est lui-même immergé, une dimension qui le précède et le fonde. Paul dit: «C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être» (Actes 17,28). L'écoute est l'attitude contemplative, anti-idolâtre par excellence. Grâce à elle, le chrétien cherche à vivre dans la conscience de la présence de Dieu, de l'Autre, qui fonde le mystère irréductible de toute altérité. Le chrétien vit de l'écoute.

Tiré de: Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.