La lectio divina dans la tradition de la spiritualité chrétienne
Le début du Psaume 1 apparaît alors comme l’idéal mystique de chaque croyant et reviendra comme un motif conducteur sous la plume de tous les écrivains chrétiens: «Heureux l’homme qui ne suit pas le conseil des impies, ni dans la voie des pécheurs ne s’arrête, ni au siège des rieurs ne s’assied, mais se plaît dans la loi du Seigneur, mais murmure sa loi jour et nuit!»
La nostalgie du croyant, dès le moment où il a connu Dieu et écouté sa Parole, sera, comme le disait Origène, «oubliant tout le reste, d’être disponible pour Dieu» (omissis omnibus, Deo vacare); le prophète Osée exprime cette nostalgie d’Israël en des termes inoubliables: «C’est pourquoi, dit le Seigneur, je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur» (Os 2,16). La foi tend secrètement, par elle-même, vers cette écoute éternelle du Verbe qui est la Parole substantielle et béatifiante du Dieu vivant.
Il est clair que ce mouvement spontané de la foi doit composer avec la condition terrestre, qui l’oblige à une longue déviation et à une infinie patience. La majorité des chrétiens, dans le monde, ouvriront le Livre unique seulement en de rares moments, quand ils pourront oublier pour un instant les préoccupations de la vie terrestre et, à leur tour, omissis omnibus, Deo vacare. Quand cela se produira-t-il, si ce n’est chaque semaine, ce jour régulier qu’est par excellence le jour du Seigneur?
Vacare Deo: laisser du temps libre pour Dieu, consacrer du temps à Dieu, c’est exactement le rôle et la signification du dimanche dans le rythme de la vie chrétienne. Il y a six jours durant la semaine consacrés au travail humain et aux paroles humaines; le septième jour est consacré au Seigneur et à la rencontre avec lui, tant dans sa Parole que dans l’Eucharistie. Quand, selon saint Jérôme, la règle de Pachôme prescrivait aux moines «de ne s’employer tous les dimanches qu’à la prière et aux lectures», elle ne faisait qu’appliquer de manière plus intense à la vie monastique ce qui devait être un idéal pour tout chrétien.
Mais plus précisément, qu’est-ce qui caractérise et différencie les premiers moines? Le fait que, pour eux, chaque jour sera dimanche! Non pas dans le sens que le dimanche est marqué par l’abstention du travail — sur ce point, les moines obéiront eux aussi à la loi universelle du travail des six jours —, mais dans le sens que le dimanche est avant tout le temps consacré à la lecture de la Parole de Dieu.
Les moines sont ceux qui ne peuvent pas supporter de ne pas se nourrir continuellement de cette Parole, ceux qui cherchent à vivre à la lettre, dès ici-bas, ce que leur conversion signifie mystiquement: un oubli des choses du monde pour embrasser seulement la Parole de Dieu. La lectio divina devient ainsi, dès le début, l’élément le plus important de l’organisation monastique.
Glanons quelques témoignages rassembés dans un ouvrage de Denys Gorce, La lectio divina des origines du cénobitisme à Saint Benoit et Cassiodore I, Paris 1925.
Saint Antoine, le père du monachisme, demandait aux disciples qui venaient pour se mettre à son école de:
prier, de psalmodier avant et après le sommeil, d’avoir sans cesse présents à l’esprit les préceptes contenus dans les Écritures, de se familiariser avec la vie des saints pour les mieux imiter ensuite (ibid., p. 66).
Dans la règle de saint Pachôme,
la méditation des Écritures est la sève du grand arbre monastique, la clef de voûte de l’édifice pachômien, le garant de sa solidité aussi. Elle est le moyen ascétique, par excellence, de ne pas perdre de vue le Christ un seul instant du jour, et de garder sa présence le long des nuits. Le cénobite pachômien est le type accompli du juste, «ayant son plaisir dans la loi de Dieu et la méditant jour et nuit» (ibid., p. 79).
Soulignons le fait que la règle de saint Pachôme subordonne tout exercice physique d’ascèse à la prière et à la lecture:
C’est le canon de l’Église que nous jeûnions seulement deux jours, afin que nous ayons la force d’accomplir ce qui nous est ordonné, que nous ne nous y relâchions pas, je veux dire: la prière continuelle, les veilles, la méditation de la loi de Dieu (ibid., p. 71-72).
Saint Jérôme, de manière complètement personnelle, mais à l’exemple de ces Anciens, a repris l’idéal d’une vie toute centrée sur la Parole de Dieu: son établissement à Bethléem, ses travaux exégétiques n’ont pas eu d’autre but que de mieux pénétrer la vérité de cette Parole. Voici son souhait: «Que le sommeil vous surprenne les Livres sacrés à la main, et, si votre tête s’incline sous la fatigue, qu’elle tombe sur la page sainte.» (ibid., p. 71-72).
Mais il n’y a pas que les moines à se consacrer à la lectio divina: certains évêques, comme saint Ambroise, saint Augustin et tant d’autres, n’ont pas une spiritualité différente.
Le célèbre moine Cassien, au IVe siècle, exprime la joie que fait rayonner une telle spiritualité:
Recueillies avec empressement, soigneusement déposées et étiquetées dans les retraites de l’âme, munies du cachet du silence, il en sera des paroles sacrées comme de vins au parfum suave, qui réjouissent le cœur de l’homme. Mûries par de longues réflexions et dans les lenteurs de la patience, vous les verserez du réceptacle de votre cœur avec des flots de senteurs embaumées; telle une fontaine sans cesse jaillissante, elles surabonderont des conduits de l’expérience et des canaux inondants des vertus; elles sourdront de votre cœur, comme d’un abîme, en fleuves intarissables (Jean Cassien, Conférences, éd. E. Pichery, SC 54, Paris 1958, p. 201).
La règle de saint Benoît enfin fait entrer la lectio divina dans la structure monastique et, par là, dans la spiritualité de tout l’Occident chrétien: lecture collective à l’office, en particulier à complies, et au réfectoire; lecture personnelle qui durait environ trois heures chaque jour.
(Tiré de «La lectio divina nella chiesa», in Pregare la Bibbia nella vita religiosa, Bose 1983 p. 7-10; texte italien disponibile dans la collection des fascicules Qiqajon, no. 51)
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